Gențiana Stănișor
Sondages et Mirages chez Frédéric Mistral[1]
Après des essais philosophiques à teneur fragmentaire[2], Rémi Soulié consacre son dernier livre à la personnalité du poète français d’expression occitane, Frédéric Mistral. Il s’est bien rendu compte qu’il fallait écrire des livres sur les magisters pour garder cette « longue mémoire », fondamentale pour l’humanité. Il tente alors de mettre en relief la personnalité de Fréderic Mistral (lauréat du prix Nobel en 1904, qui a écrit son œuvre en occitan provençal, langue que l’exégète maîtrise parfaitement, lui-même très attaché à sa région natale à laquelle il a consacré un livre, Le Vieux Rouergue : terre d’Aveyron[3]).
Il conçoit cette monographie ou bien ce périple qui est inévitablement un périple d’idées devenues, entre temps, intenables à cause du concept de « race » qui renvoie, dans la mentalité contemporaine, presque automatiquement, au « racisme » et aux atrocités commises en son nom, comme une radiographie de l’actualité de l’humanité à partir de la vision mistralienne des racines et des lieux, et met en discussion les tendances traditionnaliste et (post)moderniste ainsi que la nécessité (déjà mise en évidence par Mistral) de revenir aux origines et à la spécificité nationale, à sa terre et à sa langue, qui représentent les fondements de l’humanité.
Mistral, « à la fois classique et romantique, fut l’éducateur de la Provence[4] », moins connu à l’étranger mais infiniment ancré dans sa Provence paradisiaque, tout en aspirant à « sauver les vestiges de notre ancienne originalité nationale[5]. » Amoureux de sa terre et de sa langue provençale (la terre provençale se retrouve et se parfait dans la langue provençale), Frédéric Mistral offre à son exégète l’occasion de revivre et d’approfondir la relation de l’Être avec sa terre et sa langue. Le philosophe dévisage son sujet d’examen pour envisager non seulement une philosophie racinale, mais aussi l’importance de la pensée de Mistral pour la spiritualité française et universelle contemporaine.

Le philosophe s’arrête surtout à deux notions clés chez Mistral : « la race[6] » et « le séjour ». Quant à la première, c’est un concept qui hante Rémi Soulié, (voir Racination, « la race enracine ») mais qui perd terrain dans le tumulte postmoderne (posthumain) où il existe plutôt la tentation d’être citoyen du monde, un être sans trace, sans lieu, sans liaison native, qui conduit au déracinement. Pour Mistral, comme le souligne son exégète, « la race » est « paternité et filiation, héritage et transmission » et « désigne une communauté organique. » Pas d’individualisme alors, mais contact direct avec la nature, le topos de sa naissance et de son être : la Provence. Mais le lieu est lié à une langue. On habite non seulement un lieu mais aussi une langue. Contrairement à Cioran, déraciné, pour qui « On n’habite pas un pays, on habite une langue, une patrie, c’est cela et rien d’autre[7]. »), Mistral prône l’enracinement aussi bien dans sa langue que dans son lieu, cela veut dire « maintenir » la langue dans un espace à habiter : « Le lieu de la langue où habiter, lieu qui se déploie dans un espace vital[8]. » Il n’y a rien au-delà de ce binôme, de cette unité « sympathique » (au sens aristotélicien), entre « la patrie charnelle » et « la Provence absolue » comme le démontre Rémi Soulié. Mistral (et Cioran le joint de ce point de vue) est un antimoderne, qui condamne « la réalité mesquine », le progrès et « la chaudière de la science[9] », vue comme « le véritable enfer ». Mistral devient donc l’exposant de l’anti : uniformisation, unitarisme, centralisme, américanisation…
Le livre se veut, principalement, une monographie mais il est essentiellement une profonde réflexion qui se prolonge sur le sort de la France, du monde entier, sur les « autonomies locales » et les « communautés naturelles ». Mistral est vu comme le poète qui imagine une demeure vivante, une France vivante, ainsi que « l’empire du Soleil[10] », poétique plutôt que politique, hors de l’histoire. Tout comme le montre le philosophe, Mistral complète Hölderlin et ce désir d’« habiter poétiquement le monde ». Selon Mistral, il faut vivre ensemble, en harmonie, sous les auspices de la littérature. « L’empire du Soleil » est la métaphore d’un espace littéraire lumineux.
Rémi Soulié suit les grands axes de l’onto-poétique mistralienne : le lieu, le peuple (provençal et, par extension, latin), la langue. L’histoire de la Provence, de sa grandeur et de sa décadence, n’est en fait que l’histoire cyclique de la nature, mot tutélaire que l’exégète place au centre de la vision lyrique et philosophique de Mistral. La nature est une déesse et l’être est harmonieux et solaire, sans penchant pour le mal ou le néant, attiré par le soleil provençal. Soulié nous fait découvrir un Mistral solaire et solidaire, un poète qui réussit à unifier les contrastes, à trouver le centre de la vie, de l’être et du poème, par cette abolition des contraires (paganisme et christianisme, élémentarité et divinité, résonnement et raisonnement, philosophie et poésie, ciel et terre, réalité et imagination, femme et vierge) et par la figuration de « la flour de Rose », « la fleur du Rhône[11] », non sans échos novaliens[12]. Car tous les deux poètes aspirent à l’idéal de l’unité, à l’Un, à la perfection primordiale, à la beauté absolue. Novalis et Hölderlin sont d’ailleurs évoqués en tant que frères spirituels du poète provençal. La fleur bleue serait pour Mistral Sa Provence imaginaire, l’imaginaire de sa Provence : « Et dans le ciel, Ô Provence, en idée, tu refleuris, plus en fleur que jamais[13] » ainsi que la perfection d’une langue à maintenir : « À propos de la langue occitane, si charnue et si sonore, Mistral utilise la même rime, « simbèu »/« bèu » parce qu’ainsi le veulent les Muses musicales et qu’en provençal, le beau est donc l’hôte littéral du symbole[14] ». C’est pourquoi, nous avertit l’exégète, il faut lire Mistral en dépassant ses dualités, en les fondant dans une totalité suggestive et transgressive : « On se condamne à ne rien comprendre à Mistral si l’on raisonne en termes de dualités, si l’on oppose frontalement le paganisme au christianisme, les fées aux saintes ou aux sorcières[15]. »
Rémi Soulié nous révèle un « poète spéculatif », qui regarde et se voir regarder : « Le poète, par excellence, est le voyant, le connaissant et le philosophe, le spéculateur, de scepio, je regarde. Quel reflet spéculaire leur renvoie le speculum (“le miroir”) de l’admirable monde ? Celui de la scepies, l’aspect qui est aussi l’espèce, la forme, l’idée[16]. » Il découvre tout au long de l’œuvre mistralienne un être serein, en parfait accord avec le lieu de sa naissance, biographique mais aussi po(ï)étique. Le reflet du paysage natal provençal forme sa réflexion, et la nature montagnarde et solaire se prolonge dans l’épique d’« un cosmos ordonné et beau[17]. »
La nostalgie s’empare de l’essayiste et donne une tonalité mélancolique aux dernières lignes de son livre où il exprime le regret du temps jadis, harmonieux et calme, de cette Provence idyllique où Mistral n’a « jamais fait l’expérience de l’inquiétude ni, a fortiori, des tourments, des déchirures et des cris[18] », car il pouvait ignorer « l’angoisse face à l’absurdité d’un immonde désorienté et désamarré », « le vacarme et l’argent, l’agitation des insectes sociaux domestiqués[19] ».
Il n’y a pas de poésie sans empathie. C’est la preuve que Rémi Soulié nous offre dans son livre où sa pensée critique, doucement portée par ce « dérèglement de tous les sens » comme dirait Rimbaud, nous renvoie, nous, les lecteurs, à notre propre terre absolue.
Mihaela-Genţiana Stănişor, « Sondages et mirages chez Frédéric Mistral »
Dans son dernier livre, Frédéric Mistral. Patrie Charnelle et Provence absolue, Rémi Soulié met en discussion la personnalité du poète français d’expression occitane et refait son parcours onto- poétique.
Mots-clés : terre, langue, racine, contradiction, Novalis, Hölderlin.
[1] R. Soulié, Fréderic Mistral. Patrie charnelle et Provence absolue, Paris, La Nouvelle Librairie, coll. « Longue Mémoire de l’Institut Iliade », 2023, 67 p. Nous précisons encore une fois que nous ne nous arrêtons pas sur ce que des lecteurs pourraient considérer une idéologie raciste du livre ou bien un plaidoyer du racisme culturel et biologique. Nous voulons insister sur la vision tellurique de Mistral, communautaire et solidaire, et métaphysique, sur sa poétique de la terre natale et de l’appartenance langagière, spirituelle et culturelle à cette terre.
[2] Nous pensons surtout à Racination, Paris, Pierre-Guillaume de Roux, 2018 et à L’Éther, Paris, La Nouvelle Librairie, 2022.
[3] R. Soulié, Le Vieux Rouergue : terre d’Aveyron, Paris, Éditions Max Chaleil, 2005.
[4] R. Soulié, Fréderic Mistral. Patrie charnelle et Provence absolue, op. cit., p. 5.
[5] Ibid., p. 3.
[6] Il faut préciser que, chez Mistral, la « race » fait référence à une communauté spirituelle et culturelle, à l’harmonie à l’intérieur de cette communauté, basée surtout sur le partage du même lieu et de la même langue. Chez lui, on ne peut pas parler d’une idéologie raciste ou d’antisémitisme. Nous pensons qu’il faut se garder loin des anachronismes qui affectent, parfois, une pensée précipitée.
[7] Cioran, Aveux et anathèmes, in Œuvres, Paris, Gallimard, 1987, p. 1651.
[8] R. Soulié, Fréderic Mistral. Patrie charnelle et Provence absolue, op. cit., p. 9.
[9] Ibid., p. 12.
[10] Ibid., p. 22.
[11] Ibid., p. 32.
[12] Novalis, Henri d’Ofterdingen, Paris, Gallimard/Flammarion, 1992, p. 76 : « Mais ce qui l’attira d’un charme irrésistible, c’était, au bord même de la source, une Fleur svelte, d’un bleu éthéré, qui le frôlait de ses larges pétales éclatantes ».
[13] R. Soulié, « Fréderic Mistral. Patrie charnelle et Provence absolue », op. cit., p. 57.
[14] Ibid., p. 59.
[15] Ibid., p. 29.
[16] Ibid., p. 51.
[17] Ibid., p. 63.
[18] Ibid., p. 62.
[19] Ibid., p. 63.
INDICAȚII DE CITARE:
Gențiana Stănișor, „Sondages et Mirages chez Frédéric Mistral” în Anthropos. Revista de filosofie, arte și umanioare nr. 8-9/2023
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